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Une maman, un métier : aide-soignante en chambre mortuaire

Maman de jumelles nées en 2013, Mag, 32 ans, exerce le métier peu commun d’aide-soignante en chambre mortuaire, qu’on appelait il y a peu agent d’amphithéâtre. Astreintes, horaires décalés, vie de famille, elle nous parle de son quotidien : pourquoi ce métier, comment elle s’organise avec ses filles, son mari… une interview passionnante.

 

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DDM : Tu es aide-soignante en chambre mortuaire. En quoi consiste ton métier au quotidien ?
« La chambre mortuaire a pour vocation d’accueillir tous les décès de l’hôpital, nous avons en plus la particularité d’avoir une unité médico légale.
Ma principale fonction est de prendre en charge les défunts et leur famille. Les familles ont le choix de laisser reposer leurs défunts chez nous ou de les faire transférer dans un salon funéraire privé.
Dans le cas ou le défunt reste chez nous, nous devons nous charger la présentation (habillage, maquillage quand cela est nécessaire ou que la famille le demande), de l’installation en salon afin que les proches puissent se recueillir dans les meilleures conditions possible.

Certaines familles ont besoins de notre présence, d’être écoutées et épaulées, d’autres au contraire ont besoins que nous les laissions tranquilles, à nous de réussir à nous tenir à disposition sans nous imposer.
Nous sommes également tenus d’organiser les sorties des défunts (avec ou sans mise en bière) avec les pompes funèbres. Pour simplifier le travail de tout le monde, mais aussi par respect envers les familles, nous devons faire preuve d’une organisation sans faille.
Nous avons aussi une charge administrative assez conséquente qui, elle aussi, demande beaucoup de rigueur. Nous devons tenir des registres à jour, nous assurer que tous les certificats soient corrects, que toutes les formalités soient remplies. Que ce soit dans notre service, à l’état civil ou chez les pompes funèbres, la réglementation est stricte et nous devons être très vigilants. »

DDM : Tu es également assistante du médecin légiste, quel est ton rôle ?
« La partie médico légale nécessite elle aussi beaucoup de vigilance, le secret professionnel est bien entendu primordial, là aussi nous avons des contraintes administratives et judiciaires très importantes qui nécessitent une bonne connaissance des réglementations en vigueur.

Notre rôle consiste à assister le médecin lors des examens réalisés sur des défunts à la demande de la justice. Nous sommes ensuite en charge de la préparation du corps (toilette, habillage, restauration tégumentaires dans la limite de nos capacités car nous ne sommes pas thanatopracteurs et que notre savoir faire ne peut en aucun cas égaler le leur) afin de pouvoir restituer le patient à sa famille dans les meilleures conditions possibles (si l’état du patient le permet et après avoir obtenu toutes les autorisations nécessaires). »

DDM : Comment organises-tu ta vie professionnelle et ta vie familiale ?
« Ma vie professionnelle me prend énormément de temps, je fais des horaires de journée, mais je ne suis jamais certaine de quitter à l’heure (je peux quitter à 18 h comme à 23 h), et j’ai des semaines d’astreintes (en plus de mes heures de journée, je peux être rappelée à mon domicile la nuit) entre une et deux par mois et, comme tout le personnel paramédical, je travaille également les week-end (en moyenne un sur trois) et les jours fériés…

Mon mari qui travaille également en horaire de journée, mais avec des horaires stables, a pris un 80% afin que les filles puissent tout de même passer un maximum de temps avec nous.
Nous avons fait le choix avec mon mari des les faire garder par une assistante maternelle, car les horaires de crèche ne convenaient pas à notre rythme de vie, nous avons eu de la chance de trouver une nourrice qui accepte de garder les filles malgré mes horaires quelques peu imprévisibles, et qui est très compréhensive.
En moyenne, les filles vont chez nounou 2,5 jours par semaine, voire moins en fonction de mes repos. Nous nous arrangeons avec mon mari lorsque je dois travailler le samedi, ou avec un membre de notre famille pour faire garder les filles.
Nous essayons, tant mon mari que moi, de passer un maximum de temps avec elles, et lorsque je rentre tard et qu’elles sont déjà couchées mon mari leur explique pour quelle raison je ne suis pas là…

Ce n’est pas toujours évident, mais comme tous les parents nous essayons de faire pour le mieux.
DDM : Les métiers qui touchent à la mort éveillent souvent la curiosité et la crainte. Qu’en disent tes proches ? Comment en parles-tu ou vas –tu en parler à tes enfants quand ils s’intéresseront au métier de maman ?
« Mon métier éveille souvent la curiosité, la mort fascine autant qu’elle effraie, et le coté médico légal fascine encore plus du fait de sa popularité dans toutes les séries policières (très éloignées de la réalité, il faut bien l’avouer).

Quand j’ai envisagé de faire ce travail, il y a 4 ans, j’en ai bien entendu parlé avec mon mari, son avis était important, et j’étais consciente que cela bouleverserait notre vie d’une façon ou d’une autre… Je crois que seul son avis a eu de l’importance. Une fois ma décision prise, effectivement j’ai du l’annoncer à nos familles et cela s’est plutôt bien passé, c’est un sujet que nous n’abordons que rarement, ils évitent de me poser des questions, et j’évite d’en parler c’est mieux pour tout le monde je pense.

Mon mari est fier de ce que je fais, de ma capacité à supporter mon travail et mes horaires et c’est ce qui compte le plus à mes yeux.
Je ne sais pas comment j’aborderai le sujet avec les filles, ça me tracasse souvent, j’ai peur qu’un jour elles aient honte de mon travail, que ça risque d’être bizarre à l’école avec les autres enfants d’avoir une maman qui fait ce travail, mon mari me rassure comme il peut, je crois qu’on ne saura vraiment que lorsqu’on y sera confronté… Pour l’instant on se contente de leur dire que j’ai un travail pas tous les jours facile, sans entrer plus dans les détails. »

DDM : Est-ce que ton métier a une incidence sur la façon dont tu élèves ton (ou tes) enfant(s) ? C’est-à-dire, est-ce que les situations que tu rencontres ont un écho sur ta vie familiale ? Peut-être que tu arrives à laisser ton travail au « bureau » ? Dans ce cas, n’hésite pas à expliquer comment tu fais.
« Aussi bizarre que cela puisse paraître, mon métier ne me hante pas, quand je quitte mon service je laisse derrière moi tous les drames de la journée… C’est une question de survie, on ne peut pas faire sereinement ce travail et apporter avec soit toute la peine et la détresse des gens que l’on rencontre, ce ne serait bénéfique pour personne, ni pour ma famille, ni pour mes collègues, ni pour les gens que nous sommes amenés à rencontrer dans les moments les plus pénibles de leur vie.

Ce n’est pas un manque d’affect, car je suis quelqu’un de très sensible, simplement il est important de faire la part des choses entre son travail et sa vie privée, c’est une faculté que j’ai et c’est sans doute pour cela que je peux exercer cette fonction, je ne pense pas qu’il y ait de recette miracle pour y arriver.
Après je pense que la seule incidence que cela a, c’est que j’ai appris à profiter de la vie, de chaque instants, car je sais à quel point elle peut être courte, et de ce fait je profite de chaque minute avec mes filles, mon temps libre leur est quasiment entièrement consacré. »

DDM : Qu’est-ce qui te touche le plus dans ton métier ? Pourquoi l’as-tu choisi ?
« Ce qui me plait le plus dans mon métier, c’est la relation d’aide, la notion de soins. J’ai décidé de devenir soignante à l’âge de 15 ans, après que l’on ait diagnostiqué la mucoviscidose à ma petite sœur, j’avais envie de « rendre » d’une certaine façon tout ce soutien et tout ce réconfort qu’avaient pu nous apporter toutes les soignantes du service où elle était prise en charge.
Avant d’exercer en chambre mortuaire, j’ai exercé pendant 9 ans en psychiatrie, cela m’a énormément appris, et m’aide beaucoup dans ce nouveau poste.
A la chambre mortuaire, les journées ne se ressemblent jamais, il n’y a ni place à la routine, ni à l’ennui, chaque patient, chaque famille nécessitent une attention, une écoute particulière, chaque histoire est différente, notre prise en charge se doit d’être adaptée. Il en va de même pour la partie médico légale, chaque collaboration est différente … Une journée peut s’annoncer très calme et un seul coup de téléphone des forces de l’ordre peut tout faire basculer. »

DDM : Maman et aide-soignante avec cette spécialité, c’est difficile ? Ou la question ne se pose pas ?
« Oui, elle s’est posée, pendant ma grossesse tout d’abord. J’ai du arrêter de travailler très tôt à cause de la charge émotionnelle et physique du travail, mais également car nous sommes amenés à accompagner des paranges (NDLR : parents d’enfant décédé avant la naissance) dans le deuil périnatal. Emotionnellement, c’est déjà très difficile en temps normal, mais enceinte c’était terrible.

Puis ma grossesse s’est très rapidement vue ça me mettait très mal à l’aise de les accueillir avec ce ventre rond plein de promesses  alors qu’ils vivaient la pire épreuve qui soit…
Elle s’est posée également au moment de la reprise, je me demandais si je réussirais à gérer un temps plein aussi contraignant sans trop avoir l’impression d’abandonner mes deux amours …
Je pense qu’elle se posera encore régulièrement, pour de multiples raisons. On avisera avec le temps, en essayant toujours de trouver le meilleur compromis entre mon métier que j’aime beaucoup et l’amour que je porte à mes filles et à ma famille. »

 

À propos Béatrice Knoepfler

Journaliste, auteur d'un livre de grossesse et co-auteur de deux filles tout à fait géniales, Béatrice Knoepfler est également femme de ménage (chez elle), cuisinière, lavandière, joggeuse à la petite semaine, férue de littérature et de tissus liberty et nulle en crochet. Une vraie femme moderne, comme toi ! C'est d'ailleurs pour au moins une de ces bonnes raisons que c'est ta copine et notre super rédac'chef.

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