Vous savez, les filles, à partir de l’adolescence, tous les mois, elles ont… enfin, vous voyez de quoi je parle ? Un jour, les filles, c’est votre toute petite fille à vous. Et, en tant que père, et bien… oui, c’est ça, je devrais être content. Mais pas pour ce que vous croyez…
Je m’en souviens comme si c’était hier.
Il y a 5 minutes (ce qui relativise la performance fanfaronné dans la phrase précédente), elle est sortie de sa chambre en m’appelant.
-Papa ! Papa, t’es où ?
C’est à ce moment là que ma fibre paternelle m’a épaté. Sans savoir pourquoi (l’instinct c’est bien foutu quand même ! ) j’ai senti qu’elle me cherchait pour me dire un truc. Du coup, du fond de la cuisine où j’avalais mon petit déjeuner, je l’ai vu arriver, j’ai pris une grande inspiration et j’ai écouté.
– Papa, j’ai mes règles.
J’ai été très content d’avoir respiré avant. Par ce que sur le moment, mon cerveau fût plus occupé à se demander ce qu’il fallait adopter comme attitude qu’à ranimer le réflexe de ventilation.
Comme vous êtes particulièrement éveillés, vous vous doutez bien que si ma douce enfant me parle de ce petit désagrément passager, à moi, son père, c’est parce qu’elle n’a pas réussi à joindre sa mère pour la bonne et simple raison qu’elle n’est jamais là quand on a besoin d’elle, celle là.
Bien sûr, je sais de quoi il s’agit. Je sais précisément que c’est un truc tout rouge qui arrive grosso-modo tous les mois et que c’est le moment où il faut que le garçon fasse vachement gaffe aux questions qui paraissent anodines.
En l’occurrence, cette connaissance approfondie des secrets du beau sexe semble peu adaptée au problème. D’ailleurs, quel est le problème ? D’après les bribes de conversations saisies entre sa mère et elle, ce n’est pas la première fois que ça lui arrive. Loin de là. Je n’en ai pas été informé directement mais je le sais. Elles ont sans doute calculé que l’accomplissement de mon rôle de père ne nécessitait pas que j’accède à ce niveau de détail. A dire vrai, j’ai aussi laissé s’installer un voile pudique m’économisant un nouvel élément attestant que mon bébé avait désormais plus de points communs avec une femme qu’avec une chère tête blonde.
Ma fille attend quelque chose, mais quoi ?
Cependant, je constate bien qu’aujourd’hui ma fille attend quelque chose de moi à ce moment précis, mais quoi ?
Il ne faut pas que je paraisse choqué, gêné ou désappointé. Elle pourrait croire que mon attitude signifie que c’est mal d’avoir ses règles.
Après c’est des années de psychanalyse qu’il va falloir financer.
Il ne faut pas non plus que j’ai l’air de m’en foutre. J’imagine qu’à son âge, c’est quand même impressionnant, ce genre de rendez-vous. Elle veut qu’on invite les copines pour fêter ça ? Faut-il manifester ma joie ? « Bravo mon cœur, Papa est fier de toi » ?
Peut-être a-t-elle besoin d’un complément d’information sur le sujet ? Il faut sans doute que je la rassure, que je lui rappelle qu’elle sera toujours mon petit bébé, quoi qu’il arrive.
Pourquoi n’y a-t-il pas une ligne sur le sujet dans les piles de bouquins que j’ai lu avant sa naissance ?!
Charité ou impatience, elle décide toute seule de m’extraire de ces interrogations.
Me regardant avec cette pointe de mépris rageur qu’affichent si bien les femmes quand elles trouvent que les garçons sont nuls, elle assène :
– Faut que t’aille m’acheter des serviettes, y’en a plus. Et râle pas. Tu devrais être content que je ne sois pas enceinte.
La hyène, ce coup-ci, elle ne m’a pas laissé inspirer avant.