Les enfants sont formidables, les ados, un peu moins. Enfin si, mais bon… Parce qu’un jour, alors qu’on croit que l’école est une aimable routine, on se retrouve convoqué en conseil de discipline. Et là, qui est le coupable ?
«Bonjour-monsieur-c’est-le-secrétariat-du-proviseur-du-lycée-Michel-Drucker-je-vous-passe-monsieur-le-proviseur-ne-quittez-pas ».
Dotée d’une capacité à l’apnée méritant d’être soulignée, la collaboratrice de monsieur-le-proviseur ne m’a laissé que quelques mesures du distrayant Boléro de Ravel pour me préparer à une conversation que j’envisageais aussitôt susceptible de me mettre d’une humeur de hérisson ballonné.
Trois minutes et vingt-deux secondes plus tard, je raccrochais le téléphone avec un nouvel exemple de la justesse de ma fulgurante intuition.
Bien qu’ayant quitté depuis une vingtaine d’années – et la tête haute – l’exemplaire système éducatif français, je venais d’être convoqué à mon premier conseil de discipline.
Mardi matin, la salle 15, au premier étage du lycée, m’attendait.
Ma mission : afficher une mine abattue et aider ma douce ado à répondre devant Dieu, la France et accessoirement « l’équipe éducative » des insultes publiées sur une page facebook rattachée au lycée.
En quelque mots choisis avec soin, elle y a précisé que les « dames du CDI » ont «une odeur de chaussettes ».
Élogieux hommage à la qualité du travail de ces dévouées fonctionnaires.
J’aurais aimé parvenir à rester calme et mesuré pour en discuter avec ma fille…
Je ferai mieux la prochaine fois.
Elle aussi sans doute.
L’entrée dans la salle 15 du premier étage méritait Sergio Leone à la réalisation.
Face à nous, quelques produits purs, issus d’une longue formation universitaire et d’une encore plus longue déformation éducationnationale.
Dans leur monde à eux, les ados n’existent pas.
Il y a les enfants, qui sont mignons, inconséquents et fréquentent l’école primaire.
Et il y a les adultes, animés par le mépris des règles, qui pèsent leurs mots, élaborent des systèmes de pensée et aiment humilier gratuitement les bibliothécaires-documentalistes. La plupart d’entre eux vivent d’ailleurs avec l’unique objectif de les pousser au suicide, juste pour rigoler. En clair, tout ce qui a plus de 10 ans est considéré comme un ennemi.
Soit.
Deuxième règle, dans cet univers codifié, les parents ont changé de camp. Ils ne subissent pas avec surprise let désapointement les inventions qui font le charme de l’adolescence.
Ils doivent être rangés dans une classification :
– les incapables, qui ne donnent un cadre aux ados
– les complices, qui se servent de leurs enfants pour tenter de déstabiliser l’institution.
Re-soit
Quoiqu’il arrive, alors que vous vous attendiez naïvement à être considéré comme un allié pour garder sur le droit chemin votre progéniture comme c’était le cas avec la maitresse si votre petit s’amusait à couper les cheveux de ses copines à la récré) , vous avez à votre insu changé de camp. Vous êtes dans le box des accusés !
En observant un échantillon de la brochette d’êtres humains en souffrance à qui j’avais confié l’éducation de ma fille et qui, à l’heure actuelle nous jugeait, je ressentis une lourde culpabilité.
Avec ses grands yeux naïfs, l’innocente enfant semblait percer mes pensées et me prendre à témoin. Elle sentait bien qu’entre ses âneries et le monde des adultes gris, j’avais choisi mon camp.
Je ne pouvais pas la défendre bec et ongle bien sûr. Il fallait condamner la bêtise et la méchanceté de ses propos.
Impossible cependant de laisser la bande organisée se défouler gratuitement sur elle… et sur nous.
Robert Badinter n’avait pas fait tout ça pour rien quand même ! Et puis surtout c’est mon bébé. Je ne vais pas les laisser la massacrer sans rien faire.
Je pris la parole.
Elle prit deux semaines d’exclusion.
J’ai hésité à lui demander pardon.