Française mariée à un Québécois, maman d’une petite fille née au Caire et d’un petit garçon né en Inde : Valentine est une professionnelle de l’expatriation ! Accouchement, vie quotidienne, transmission des cultures en terres étrangères… Interview passionnante d’une maman voyageuse.
Valentine, où es-tu ? Que fais-tu ? Et avec qui ?
Je vis actuellement dans le Sud de l’Inde à Bangalore où j’enseigne l’Histoire et la Géographie dans une école Internationale. Mon mari Sébastien est le directeur de l’école, ma fille Lila est en « year 3 », équivalent CE1 et mon fils Achille (10 mois reste a la maison avec Stella la nounou).
Depuis quand as-tu quitté la France et pourquoi ?
Ça fait dix ans que j’ai quitté Paris. J’ai fait une bonne partie de mes études en Égypte (histoire et urbanisme) et je voulais y vivre pour y poursuivre ma thèse. J’ai démissionné de l’éducation nationale pour travailler dans une école internationale au Caire. Finalement, j’y suis restée 5 ans !
Comment as-tu rencontré ton mari et de quelle nationalité est-il ?
Bon, au début de ma thèse, j’avais aussi un chéri égyptien qui voulait que je reste en Égypte. Il m’a dit qu’un certain Sébastien cherchait des profs… Je l’ai appelé… Et oui, voilà, c’est mon mari maintenant ! Il est québécois et vit lui aussi depuis 12 ans à l’étranger. Nous avons vécu en Égypte, en Syrie, un petit bout en Tanzanie, au Québec et nous commençons notre 2e année en Inde.
Quand et où tes enfants sont-ils nés ?
Lila est née au Caire en 2005, Achille à Bangalore en 2013.
As-tu eu des appréhensions liées au pays où tu te trouvais alors quant à la façon dont se dérouleraient tes accouchements ?
Pour Lila, pas du tout, parce qu’il y avait près de chez nous un super gynéco obstétricien, diplômé en France et ayant exercé 15 ans là-bas. J’ai eu un décollement de placenta au 4e mois, j’ai été hospitalisée d’urgence et je suis restée couchée 3 mois. Bon, c’était pénible mais je n’ai jamais eu peur. Si j’avais eu un autre docteur, ça aurait sans doute été différent. Le fait d’avoir de bonnes relations avec lui et qu’il parle Français ont beaucoup aidé… Et en Égypte, tu as le numéro de portable des médecins, donc tu peux l’appeler le dimanche matin au petit dej’ pour lui parler de tes contractions…
En Inde, du coup, pas d’appréhension, parce que je savais que l’Inde a d’excellents hôpitaux et médecins. On a juste un peu flippé pour l’accouchement, comme on savait que c’était une césarienne, on avait peur que Sébastien ne puisse pas être à mes côtés, vu que les hommes indiens n’assistent pas aux césariennes. On a dû demander l’autorisation du directeur de l’hôpital.
En fait, dans les deux cas, le fait d’avoir un accouchement planifié m’a rassurée : en Égypte, on était en plein Ramadan, et, à part à l’heure de l’Iftar (le « petit déjeuner », la rupture du jeûne), il y a des embouteillages monstres toute la journée et une partie de la nuit. Perdre les eaux quelques heures avant la rupture du jeûne quand tout le monde rentre chez soi : bof !
En Inde, on n’avait pas de voiture, il n’y a pas de taxi la nuit, et en plus on avait Lila… donc on était content de pouvoir s’organiser !
Avec ton mari, vous avez une culture différente, comment faites-vous pour transmettre « chacun la sienne » dans un pays où elle est encore différente ?
La transmission, c’est assez inconscient. Le fait qu’on parle tous les deux Français, ça permet à Lila de mieux s’y retrouver. Elle a un rapport très affectif avec sa langue maternelle. Elle le lit mieux, l’écrit mieux que l’Anglais, s’arrange toujours pour discuter avec les francophones. Sinon, c’est à travers les livres, les BD, la musique, les films… on transmet chacun ce qu’on aime et ce qu’on juge important.
Mais ce qui est essentiel, c’est les contacts avec la famille et le pays. Lila a idolâtré la France longtemps, parce qu’elle est très proche de sa cousine qui a le même âge. Elle voit aussi mes parents deux fois par an car ils viennent nous voir une fois par an, où que nous soyons. Il y a encore deux ans, elle appelait « France » le jardin de mes parents ! Et elle est toujours décidée à habiter en France « à Paris » plus tard (avec sa cousine). Cette exclusivité pour la France me gênait un peu, et ça s’est estompé lorsqu’on a passé une année scolaire au Québec (après notre départ précipité de Syrie). Les séjours dans le pays d’origine, les relations avec la famille, les repères spatiaux et les souvenirs sont fondamentaux pour créer un vrai lien et donc mieux transmettre son « identité » à son enfant.
Grandir à l’étranger, en quoi est-ce un atout pour un enfant, selon toi ?
Ce n’est pas très original, mais j’ai quand même envie de dire que ça « ouvre des horizons ». En fait, je crois que les enfants apprennent sans même sans rendre compte, ça les enrichit en général. Lila sait où elle se trouve dans le monde, elle a l’expérience des cultures, des traditions et des langues, sans même le réaliser. C’est simplement enrichissant, et ça incite à être plus tolérant, j’imagine. Et puis oui, souvent, les conditions de vie sont sympas. On fait de chouettes voyages et on vit plus en petit comité avec les parents et les amis. Et lorsqu’on vit ailleurs, puisqu’on est distancié par rapport à son propre pays, on réalise mieux ce qu’il lui est spécifique, alors on apprécie mieux.
Et est-ce qu’il y a des inconvénients ?
Être loin de la famille. Il arrive à Lila de regarder ses photos en « pensant à mamie ».
Les autres inconvénients tiennent plus au lieu d’expatriation lui-même : je dirais que ça dépend de l’âge des enfants. J’ai vu quelques expatriations ratées à cause d’adolescents qui avaient quitté leur école et leur bande de potes et n’arrivaient pas du tout à s’intégrer. Il faut faire attention à l’âge des enfants.
Par ailleurs, il faut aussi faire attention au pays choisi, il faut que les enfants qui grandissent puissent être libres et avoir une offre culturelle adéquate. Quand Lila sera ado, je préférerai être dans une ville plutôt occidentale pour qu’elle puisse faire tout ce que nous on a pu faire ado, avoir accès à des activités sportives et culturelles diverses etc…
Envisagez-vous, ton mari et toi, de « rentrer » à la maison un jour ? Et si oui, dans celle de qui ?
Peut-être un jour, mais on ne sait où. Seb a plus envie de vivre en France que moi. C’est compliqué de rentrer, on a toujours un contre coup. En fait, on n’a pas envie de rentrer, mais plus d’être proche de nos proches… On a aussi envie que notre fils Achille ait le même genre d’enfance que Lila. Bref, on ne sait pas trop. On aimerait se rapprocher, au moins. On aimerait Barcelone ou Istanbul…
As-tu une ou des anecdotes liées à ta vie de mère expatriée ?
Oui, dernièrement les singes qui piquent le lait de bébé alors qu’on est aux fins fonds de la jungle… ou Lila qui a 3 ans dit des prières en arabe avant de manger, où encore Lila qui fabrique des drapeaux et crie des slogans pro-Bachar avec sa nounou au moment de la révolution syrienne. Ou encore l’anesthésiste égyptien qui faisait ses mots croisés derrière moi en pleine césarienne. Ou encore Lila qui crie « Allah wu-Akbar » en rentrant dans un temple bouddhiste au Vietnam.
Que conseillerais-tu aux parents ou futurs parents qui souhaitent s’expatrier ?
De foncer ! C’est quand même une super vie. On s’ouvre, on découvre et on voit son pays de haut… du coup on apprécie mieux notre propre culture.
Mais aussi de faire attention à ménager les enfants, en particulier les ados. Ça peut être très dur pour certains de s’intégrer.
Et évidemment de se renseigner sur les écoles : les écoles à l’étranger sont payantes, il faut faire attention à vérifier que l’école est payée par la société du parent expatrié. Il faut aussi bien choisir l’école, en sachant que les écoles françaises ne sont pas toujours les meilleures, et qu’elles ne sont pas partout non plus. Il faut donc bosser l’anglais ! Ce n’est pas pour prêcher pour ma paroisse, mais je conseille vivement les écoles internationales (idéalement, celles qui préparent pour le bac international) : c’est en général plus innovateur et plus souple que le système français et il y a un vrai esprit d’école, de « communauté », un peu à l’américaine, ce qui est sympa (si, si !). Si l’on pense rester longtemps à l’étranger, c’est sans doute mieux pour les enfants qui, au moins, seront assurés d’être bilingues rapidement. Par contre, il faut aussi penser au retour en France : d’une part, au niveau de Français des enfants, et, d’autre part, au fait qu’il faut passer le bac français pour entrer dans une université française…