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Témoignage : La fausse-couche qui n’avait pas dit son nom

Elle s’appelle Lucie et elle nous a envoyé ce texte bouleversant. La fausse-couche qui n’avait pas dit son nom, c’est ce qu’elle a vécu. Elle témoigne « pour toutes les femmes qui sont passées par cette épreuve », entre profonde solitude… et espoir.

seule

C’était le mois de mai

Les deux barres se sont affichées sur le test de grossesse. C’était le mois de mai, il faisait beau, j’étais la fille la plus heureuse du monde. Nous voulions ce second bébé, tout se passait comme on l’avait prévu, Dame Nature avait donc été à l’écoute : parfait !

Pour confirmer ma grossesse naissante, j’ai fait la prise de sang règlementaire. Le taux de bêta HCG n’était pas très élevé, mais c’était « normal », c’était le début. Je n’ai même pas pensé à m’inquiéter, mon corps commençait à me dire que j’étais enceinte. J’avais les seins en ballons gonflé à l’hélium, un teint de cendre, de bonnes nausées… bref, j’étais enceinte.

Une seconde prise de sang a montré que le taux augmentait régulièrement, tout allait bien. Mais, quand-même, mon médecin m’a prescrit une échographie pour vérifier l’avancement de tout ça.

J’y suis allée le coeur léger. J’en suis repartie le coeur lourd mais pas encore brisé.

Le problème, c’était que le développement ne correspondait pas à l’âge présumé de la grossesse. Il était un peu lent… Mais « pas de panique, revenez dans une semaine, on fera un contrôle« .

J’ai commencé à m’inquiéter, mais mon corps continuait à me dire que ce futur bébé était bien là, tous les signes y étaient. Pourquoi ne l’aurais-je pas cru ?

La semaine suivante, j’ai vu et entendu le coeur battre. Fin de l’angoisse ! … ou presque. Toujours ce retard de développement.

Je ne sais pas si je n’ai pas voulu comprendre, si je n’ai pas voulu savoir, mais j’ai continué à y croire, presque sans me poser de questions.

On était fin juin,

j’allais bientôt attaquer la neuvième ou dixième semaine d’aménorrhée, ça ne pouvait tout simplement pas mal se passer.

J’avais rendez-vous pour une autre échographie, ma gynécologue ne voulait rien laisser au hasard. Je lui en étais reconnaissante, sur mon nuage à peine grisé par une angoisse silencieuse, je continuais à ne pas me poser de question.

Mon ventre commençait à s’arrondir, comme si mon corps avait tellement bien gardé le souvenir de ma première grossesse que la place était déjà faite. Je ne fermais plus mes pantalons, je rusais avec des hauts amples.

Chut-chut : garder le secret jusqu’au 3 mois révolus pour l’annoncer à tout le monde. C’était notre petit secret.

On était début juillet, les vacances s’annonçaient joyeuses, je suis allée passer cette nouvelle échographie en ne pensant qu’à ce moment merveilleux où j’allais voir et entendre ce petit coeur.

C’est idiot, j’avais mis une jolie culotte pleine couleurs pour fêter ça. C’était ma « culotte de bonheur ».

L’échographie a commencé. 5 minutes plus tard, elle se terminait.

« C’est fini.« 

Plus de coeur, plus de bruit.

J’avais fait une fausse-couche sans le savoir. Je ne m’en étais pas aperçue. Mon corps tout entier continuait à me dire que j’étais enceinte. Il m’avait donc trahie ?

Dans la brume des larmes mais si bien accompagnée par ma gynécologue, je suis rentrée à l’hôpital ce soir là, pour une aspiration le lendemain matin.

Dans le miroir de cette chambre de la maternité, je me suis regardée déjà si arrondie, sans comprendre. J’ai passé la nuit au rythme des pleurs des nouveaux-nés des chambres voisines.

En descendant au bloc après une matinée d’attente terrible, je rigolais avec le brancardier. Heureusement : j’étais « shoutée ».

Je suis rentrée au bloc, on m’a endormie. Et puis je me suis réveillée.

« C’est fini ? C’est vraiment fini ? »

« Oui, c’est fini. » La voix douce de l’infirmière a prononcé les mots les plus cruels.

Parce que j’y croyais encore, parce que je m’étais gardé dans un coin de la tête qu’il y allait avoir un miracle.

Qu’en m’opérant, ils se rendraient compte qu’il y avait une erreur, que le bébé était bien là et bien vivant, et ils auraient tout arrêté.

Je m’étais fait un film très joli. J’avais juste oublié que les films ne sont pas la réalité.

Je ne me suis jamais sentie aussi seule que les semaines qui ont suivi cette fausse-couche qui n’avait pas dit son nom.

« Mais tu en auras d’autre, des enfants.« 

Pour le reste du monde, il fallait passer à autre chose. C’était triste, mais c’était fini.

Peut-être, mais moi c’était celui-là que je voulais.

Il n’y a pas eu d’explication malgré les analyses, ça s’est arrêté, point final.

J’ai mis du temps, beaucoup de temps, à surmonter ma tristesse infinie dans une solitude profonde.

Mais, c’est peut-être bizarre, au bout d’un moment j’ai eu envie de faire l’amour pour faire l’amour, sans me poser de questions et surtout pas celle d’avoir un autre bébé.

Pour reprendre mon corps, peut-être. Pour le récupérer.

J’ai su que j’étais enceinte 6 mois après ma fausse-couche.

J’ai tremblé comme jamais tout au long du premier trimestre, et puis mon bébé est né.

Magnifique, merveilleux, exceptionnel : le plus beau du monde.

Je garde au fond de moi cette cicatrice, je sais que je ne pourrai jamais oublier et que ce qui m’est arrivé – alors que c’est si courant puisqu’une grossesse sur 4 se « solde » par une fausse-couche et que 200 000 femmes y sont confrontées chaque année en France – m’a changée à jamais.

J’ai jeté ma culotte. Mais je n’oublierai pas, que je le veuille ou non.

Et la vie continue.

 

 

 

A propos de Béatrice Knoepfler

Journaliste, auteur d'un livre de grossesse et co-auteur de deux filles tout à fait géniales, Béatrice Knoepfler est également femme de ménage (chez elle), cuisinière, lavandière, joggeuse à la petite semaine, férue de littérature et de tissus liberty et nulle en crochet. Une vraie femme moderne, comme toi ! C'est d'ailleurs pour au moins une de ces bonnes raisons que c'est ta copine et notre super rédac'chef.